13 Avril 2008
Le Temps; 14.04.2008 - Sports
Les contes merveilleux du catch américain
PUGILAT. Des colosses américains ont débarqué à Genève samedi pour raconter des histoires, vendre du catch et de la quincaillerie dérivée.
Un «beau bébé» et une diva décolorée ont passé leur samedi après-midi à s'émouvoir devant des peluches Winnie l'Ourson et le Jedi Starfighter au Toys'R Us d'Ecublens, banlieue lausannoise. Le quintal et son mannequin floridien, après avoir envoyé une responsable «so nice» chercher de l'eau plate à la Migros d'en bas, ont griffonné quelques centaines d'imprimés, «afin de promouvoir les nombreux jouets à leur effigie», selon le responsable du magasin, lequel a écoulé 500 billets d'accès à la table des autographes en moins de vingt-quatre heures. L'Amérique en culottes courtes était en Suisse. Chez Toys'R Us...
Après deux heures d'âge tendre, Kelly Kelly et Matt Hardy se sont effacés derrière les vitres teintées d'un minibus de location et ont rejoint le compagnonnage rugueux de la World Wrestling Entertainment (WWE) à l'Arena de Genève, où les attendait une salle comble. «La WWE et, entre autres activités, une promotion de catch, éclaircit un habitué [ndlr: créée en 1952, cotée en bourse, 400 millions de dollars de chiffre d'affaires l'an passé]. A l'intérieur de celle-ci, il y a trois sous-fédérations, ou «brands»: RAW, Smackdown et ECW, qui ne sont départagées par aucuns critères précis.»
Le microcosme des fiers à bras a fait du Smackdown, version «house show» (épisode non télévisé, donc propice aux réglages), relégué les bons sentiments de l'après-midi au rayon Barbie, vendu de la gloriole et de l'américanisme facile, trois heures durant. C'était grandiose.
Autant le dire tout de suite: la castagne est régie par un scénario accepté. Comme un match de foot italien, donc, tout est connu d'avance. «Ce sont des «bookers» ou scripteurs qui définissent une storyline, et donc l'issue du combat, admet Willy, patron du site Willywrestlefest.fr, référence francophone de la discipline. Pendant la démonstration, les athlètes annoncent mutuellement leurs prises.»
A qui profite le scénario? «A un catcheur charismatique, épais et parfois pistonné!» Dès lors, «ce n'est pas un vrai sport, mais plutôt du théâtre». Répertoire d'actes aux créatures plus ou moins fantastiques: poupées à la carrosserie impeccable dévolues au mauvais papier (Entrevue, Playboy), bout d'homme excentrique (Hornswoggle, 1m10, 40 kg) et, dans un élan de discrimination positive, The Great Khali (2m21, 191 kg) et sa gueule de fer à repasser (était-ce un masque?).
Trois heures durant et devant près de 10000 personnes «trop disciplinées», selon les entraînés, des scénarios soignés ont fait grincer le plancher et entretenu un suspense de documentaire animalier. «Il y a les heels, autrement dit les méchants, et les faces, les gentils», avait prévenu Glen, inspiré par le houblon d'une canette, avant de honnir l'arrivée de Edge, blondinet ramenard corrigé par la superstar Batista (The Animal) et le très respecté The Undertaker.
Portés par une inspiration légitime, «even good guys do bad things», et des sollicitations haineuses, «you suck!», l'excentrique jamaïcain Kofi Kingston et quelques autres avaient auparavant improvisé des mauvaises rencontres avec une première rangée dont le seul mérite aura été de bonifier son anglais (il y avait des barrières).
Scotchée devant le ring à siroter une bière trop cher (6 francs), étudier un programme hors de prix (30 francs) ou exhiber un tee-shirt ruineux (50 francs), l'assemblée s'est entretenue autant sur le fond, «il paraît que depuis que Triple H couche avec la fille du patron de la WWE, il est immunisé», que sur la forme, «la plupart utilisent des lames de rasoir pour saigner». On a débattu de l'émission francophone sur RTL9 «diffusée avec six semaines de retard» et de la manière d'arrondir une physionomie avec «de la viande, de la créatine et des anabolisants».
Il y avait beaucoup de pré-ados, occupés à calculer l'angle des prises en même temps que ceux de la chambre (pour la beauté du geste, plus tard à la maison) et de conjointes imaginatives, «mais quelle femme normalement constituée pourrait résister à un corps huileux sculpté dans le marbre?» s'est ainsi enquis l'une d'elles. Il y avait deux cancanières (Parterre Bloc E1, rang J, places 6 et 7) aux discussions de salle d'attente, «c'est de la graisse ou du muscle?», et un chercheur en mathématiques préoccupé par la rentabilité d'un sport populaire. «Six à 7 millions de dollars par année pour un bon catcheur», croyait savoir l'un, en détaillant: «Ils ont des salaires fixes, et touchent ensuite des royalties sur les produits dérivés et autres émissions qui leur sont consacrées.»
Les plus compétents n'ont pas regretté l'ancienne époque «plus acrobatique» alors que, aujourd'hui, «les catcheurs appuient franchement les coups. A la fin des années 1990, la WWE a évolué d'un scénario plutôt «tout public» à des feuilletons plus violents et grossiers», traduit Denis, trois expériences outre-Atlantique au palmarès. Que les épisodes soient travaillés auparavant l'émeut à peine, «parce que si ça ne l'était pas, il ne se passerait rien», et parce que «ça fait trop mal pour que ce soit truqué», selon Batista, carcasse plus huilée qu'une Harley.
A terme, la plupart sont revenus d'une Amérique qui s'est inventé des histoires la vénération intacte et le pouvoir d'achat amputé d'une cargaison de tee-shirts qu'ils ne mettront peut-être que pour dormir. Il a bien manqué «des écrans plats, quelques feux d'artifice et John Cena», mais il y avait «des schubligs et des kebabs», «une palette d'acteurs émérites» et quatre divas dont les bagages se sont probablement égarés dans les couloirs de Cornavin...
Le 13 septembre 2001, le catch fut le premier événement sportif majeur diffusé aux Etats-Unis après les attentats. Aujourd'hui, plus de 14 millions d'internautes s'attendrissent chaque mois devant l'entertainment à la sauce yankee du site wwe.com.
La discipline s'exporte désormais sur le Vieux Continent, «après 15 ans d'hésitation, selon Willy. Le marché outre-Atlantique étant saturé niveau show, ils viennent régulièrement en Europe et font une tournée dans la lignée de Wrestlemania, l'équivalent du Superbowl pour le football américain.»
En Allemagne et en France, notamment, les audiences s'envolent tandis que le Mexique et le Japon disposent aujourd'hui de fédérations estimées. Les contes merveilleux du catch américain ne sont finalement rien de moins qu'un peu de poésie, dans ce monde de brutes.